mercredi 21 février 2018

Exposition «De deux choses l'une» de Clémentine Mélois

Amandine Schmitt sur le site de l'Obs.


Les Geeks

Connue pour ses pastiches de couvertures de livres, Clémentine Mélois expose ses œuvres ingénieuses.

Clémentine Mélois est à la recherche d’un socle. Quelque chose qui ne serait ni trop haut, ni trop bas. 

C'est qu'elle doit mettre correctement en valeur deux poings serrés massifs en plâtre. Sur les phalanges de la main droite, on lit: «ANTICONS». Sur la gauche: «TITUTIONNEL». 

«La Nuit du chasseur» revu par l’Académie française. «Il y a beaucoup d'humour dans mes œuvres, mais ce n'est pas spécialement destiné à être drôle, c'est simplement un jeu sur le texte et l'image», sourit l'artiste, quand on la rencontre à quelques jours du vernissage.

Cette trentenaire, imprégnée de Georges Perec et de Raymond Queneau, fond depuis des années culture classique et culture populaire pour imaginer des œuvres ingénieuses. 

Sociétaire des Papous dans la Tête sur France Culture et chroniqueuse pour «Mon Lapin Quotidien», le journal de la maison d’édition de BD alternative L'Association, elle est devenue la coqueluche du milieu littéraire. 


Quand il faut concevoir un décor pour les rencontres de Manosque ou des accessoires pour l’émission «21 cm» présentée par Augustin Trapenard, on fait appel à sa créativité.

La voilà qui expose à Paris le fruit du travail de ces cinq dernières années. 

Quelques jours avant l'ouverture, dans la galerie Lara Vincy, où les murs encore vierges sont loin de la fantaisie méloisienne, elle a mille merveilles à montrer. 


D’abord ces bols bretons estampillés «Guy Georges», «Emile Louis» et «Patrick Henry». «Ce ne sont que des prénoms, et pourtant ils ont ce fort pouvoir évocateur», semble-t-elle se ravir, comme si ce n’était pas elle qui avait imaginé cette vaisselle subversive. 

Plus loin, elle pointe une porte de frigo ornée de magnets. «Ce sont nos nouveaux retables», explique-t-elle. 

Se disputent aux stickers publicitaires des silhouettes tirées du «Jardin des délices». Evidemment, Clémentine Mélois a monté tout le dispositif sur un appareil ménager de marque… Bosch.


Enfin, elle arrive à cette caisse hermétique qui contient les objets qui ont fait sa renommée: ses couvertures de livres détournées, postés sur internet et réunis dans l'ouvrage «Cent titres» (Grasset, 2014). 


Elle y réinterprète les titres de grands classiques avec des astuces, jeux de mots et calembours. Il y a «Maudit Bic» de Melville, «Mycologies» de Roland Barthes, «Légume des jours» de Boris Viande, «Père et Gay» de Léon Tolstoï ou «Lexomil et le royaume» d’Albert Camus. 


À la galerie, les livres seront rangés dans une étagère ouverte, pour que les visiteurs puissent les manipuler. On lui dit qu’elle risque de se les faire voler. «J’en serais honorée», répond-elle d’une voix douce et enjouée.

Plusieurs degrés de lecture

« Ce sont vraiment les livres de ma bibliothèque», rappelle-t-elle, façon de dire qu'elle pastiche parfois des éditions anciennes. Celles qui traînent peut-être encore dans les maisons de campagne de son public. 

En tout cas de quoi le ramener à ses propres souvenirs. «Je crée du décalage avec quelque chose de très familier», analyse-t-elle. 

Ce que dit autrement l'oulipien Hervé Le Tellier dans la préface au catalogue de l'exposition: 
Ce qu'exige toute l'œuvre de Clémentine Mélois, c'est que l'on ait passé le code avec succès. Que l'on accepte certes de faire bouger son regard, mais un regard déjà éduqué, déjà complice (...). Je ne crois pas pouvoir dire mieux sans le soutien d'une drogue dure.»

Il faut certes connaître «L’Origine du monde» de Courbet pour comprendre «L’Origine du monde» version Mélois, rendu à sa subversivité par son épilation intégrale. 

Il faut avoir en tête «L’Angélus» de Millet pour s’esclaffer devant «Les Geeks», où les paysans ont remplacé la prière par la consultation de leurs smartphones.


Mais pas besoin d'avoir une licence d’Histoire de l’art pour décrypter «Itinéraire Bis», douce reformulation des panneaux d’autoroute. Tout droit: «Routine». Sortie à droite: «Passion – Fantaisie – Création»

«Mon travail est assez conceptuel, mais il y a plusieurs degrés de lecture, reconnaît-elle. J'aime l'idée que je n'aie pas besoin d'être à côté pour expliquer.»


Le livre d'artiste, cette révélation

« La littérature fait partie de la vie, je ne la vois pas comme quelque chose de sacré», résume-t-elle. Son propre mythe fondateur remonte à ses 9 ans, lorsqu'elle remporte un concours organisé par Gallimard qui lui offre 365 livres du catalogue. Ils trônent, encore aujourd’hui, dans sa bibliothèque.

Aussi loin qu’elle se souvienne, la petite fille qui voulait devenir «écrivain ou journaliste» a «toujours voulu mêler texte et image»

Fille du sculpteur Bernard Mélois et d'une mère professeur de français et photographe, elle fabriquait déjà des livres avant de savoir écrire. «Mon père fabriquait des livres, mes sœurs fabriquaient des livres, c'est une sorte de loisir familial.»

À 18 ans, l’artiste Eric Rondepierre lui fait découvrir «Esthétique du livre d’artiste» d’Anne Moeglin-Delcroix. «Ça a été une révélation. Ça répondait à des questions que je me posais de manière instinctive.» 

Le livre d’artiste, à ne pas confondre avec le livre d’art, cette œuvre sous forme de livre, restera une passion. 

Clémentine Mélois intensifie encore son «rapport fétichiste à l’image imprimée» en se formant à l’estampe aux Beaux-Arts de Paris, dans les ateliers de Michel Salsmann et Christian Boltanski. 

Elle apprend la photogravure, le gaufrage, la lithographie ou la sérigraphie, toutes les techniques d’impressions qu’elle enseigne désormais aux Beaux-Arts de Nîmes.

Pour son diplôme de fin d’études, elle fait déplacer le jury sur les quais de Seine pour présenter un panachage de livres fétiches et de livres détournés dans une boîte vert bouteille de bouquiniste conçue par son père. Il l’aide encore parfois dans ses œuvres. «Son chalumeau a beaucoup servi!»

Foufoune Tendance

Clémentine Mélois «n’aimerai[t] pas l’idée d’exposer uniquement en galerie»

Elle a pensé son travail en trois axes: outre les expositions, il y a «les livres, disponibles en librairie, dans lesquels on trouve un jeu sur le péritexte, et Facebook, où tout est gratuit et libre d’être repris. 

Ce n’est finalement pas très éloigné de mon expérience de la lithographie, basée sur le multiple et sur la diffusion.»

En Facebook, elle voit «un endroit de contact». Qui ne touche pas toujours les mêmes communautés. 


Quand elle imagine Michel Foucault vendre des sous-pulls en polyamide dans un catalogue type La Redoute, elle met en émoi le milieu académique.
Le philosophe Mathieu Potte-Bonneville m'a rapporté que Paul Rabinow, spécialiste américain de Foucault, lui a envoyé le détournement avec la mention: "Is this for real ?" (c'est pour de vrai ?)»
Une autre fois, elle se moque des émissions de survie en imaginant un kit «Ma bite et mon couteau» sponsorisée par le présentateur Bear Grylls. «Ça a beaucoup circulé chez les parachutistes…»


Facebook lui a même permis de faire des rencontres, comme l'auteur de la couverture de «Vol de nuit» de Saint-Exupéry qu'elle a rebaptisé «Saint-Exaspéré»

«C'était une rencontre formidable, il m'a raconté comment il avait travaillé au feutre à alcool.» 


Elle boucle même la boucle en revoyant la dame de Gallimard qui lui a remis son prix à 9 ans. Sans oublier que c’est précisément grâce au réseau social qu’elle a été repérée par Charles Dantzig et publiée chez Grasset. 

Elle lui a rendu hommage en transformant «Dictionnaire égoïste de la littérature française» en «Dictionnaire égoïste de la variété française», de Charles Dancing.

Fouiller dans son compte Facebook, c’est un peu comme chercher dans une malle aux trésors: tout y est motif d'émerveillement parmi ces idées à la fois malines, drôles et familières. 

On s’incline par exemple devant «Foufoune tendance», roman-photo qui associe images issues de «Nous Deux» et dialogues originaux de «Barbie magazine»

Membre de l’Oulipo

En dehors de Facebook, Clémentine Mélois a une année chargée. 

Elle travaille à la fois sur un album pour enfants, un nouveau livre chez Grasset et un volume de La Petite Bédéthèque des Savoirs du Lombard sur le roman-photo, avec Jan Baetens. 

Depuis juin dernier, elle a été cooptée à l’Ouvroir de ­littérature potentielle (Oulipo), où elle a rencontré des gens avec lesquels elle se sent «en phase».

Pour entrer à l'Oulipo, il ne faut pas proposer sa candidature. Mais Mélois avait tout pour séduire ces farfelus du verbe, dont son dernier ouvrage, «Sinon j’oublie» (Grasset), une fantaisie autour de «l'infra-ordinaire» chère à Perec. 


Elle parvient à y faire émerger de la poésie de la liste de commissions. Se basant sur 99 listes issues de sa collection personnelle, elle imagine les confidences de leurs auteurs: celle qui s'inflige un régime à base de saucisses, celui qui drague dans les rayons de Mr. Bricolage, ou ce couple qui croule sous «sept crédits conso». Un ensemble irrésistible.

Pour mieux «stimuler la racontouze» (Perec, encore), la jeune femme s’est fixé des contraintes strictes. «Il fallait utiliser un élément de la liste de courses, une catégorie de population, et un sujet de préoccupation ordinaire»

Elle s'est inspirée d'un exercice appelé la Polygraphie du cavalier (Perec, toujours), dans lequel le cavalier doit parcourir tout l'échiquier sans passer deux fois par la même case. 

On s'étonne, on se gratte la tête, mais Clémentine Mélois nous rassure: «C'est vraiment un truc de tordu!».

Clémentine Mélois
De deux choses l'une
Du 8 février au 24 mars 
Galerie Lara Vincy
47 rue de Seine, 75006 Paris 
11h00 à 13h00 et 14h30 à 19h00

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