samedi 16 avril 2016

La BD vue par cinq créatrices

Josée Lapointe et Stéphanie Vallet dans La Presse.

Dessin de Bach

En janvier, le prestigieux Festival international de la bande dessinée d’Angoulême était plongé dans la controverse lorsque plusieurs bédéistes ont accusé l’organisation de sexisme, lui reprochant de n’avoir inclus aucune femme parmi les finalistes de son grand prix – un problème récurrent en 42 ans d’existence.
Alors que s’ouvre aujourd’hui le Festival de la BD francophone de Québec, nous avons demandé à cinq jeunes bédéistes québécoises qui y seront de revenir sur la crise d’Angoulême, et de nous parler de la situation au Québec.

Julie Rocheleau

32 ans, dessinatrice de La Petite Patrie et de La colère de Fantômas. Membre du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme.

Le monde de la BD
« La BD n’est pas un monde d’hommes. Oui, il y a beaucoup d’auteurs masculins, comme dans beaucoup d’autres domaines. J’ai signé la charte du collectif dès sa sortie, mais je suis un peu ambivalente sur la question. C’est sûr qu’il y a des choses à mettre au clair, comme le fait que les femmes ne sont pas toujours considérées comme des auteures à part entière, mais une catégorie dans le métier. »
La controverse à Angoulême
« C’était assez choquant que sur toute la liste des sélectionnés, il n’y ait aucune femme. Le Festival est une petite clique qui se félicite entre potes ! »
Europe c. Québec
« J’aurais tendance à penser qu’il y a moins de sexisme au Québec. Ce qui me choque, ce sont plus les stéréotypes qu’on retrouve dans la BD franco-belge. Je n’en reviens pas, notamment dans le magazine Spirou, à quel point c’est sexiste alors que c’est destiné aux enfants. »


Bach (Estelle Bachelard)

27 ans, auteure de C'est pas facile d’être une fille, elle vient de lancer Chasses amoureuses avec Mia Caron.

Le monde de la BD
« Le milieu n’est pas aussi masculin au Québec, en fait, c’est presque une égalité gars-filles. Que l’auteur d’une BD soit une fille ou un gars ne change pas grand-chose. C’est vrai que je m’adresse à un public féminin, mais ce que j’aimerais, c’est que ce ne soit pas perçu comme péjoratif. De toute façon, ce n’est pas nunuche, tout est dans la manière ! »
Europe c. Québec
« C’est délicat comme sujet, mais j’ai l’impression que le sexisme est encore très présent dans le milieu de la BD en France. Je pense que ce qui est arrivé à Angoulême ne pourrait pas se produire ici. Regarde, juste au Festival de la BD de Québec, sur quatre invités d’honneur, il y a deux femmes [elle-même, ainsi que la Française Chloé Cruchaudet]. »


Stéphanie Leduc

36 ans, auteure de la série jeunesse Titi Krapouti & Cie, de la saga fantastique Terre sans dieux et de la série érotique Dryade.

Le monde de la BD
« Quand on lit une BD, on n’a aucune idée si c’est un homme ou une femme qui l’a créée. Comme Alim le tanneur, c’est une fille qui la dessine et je ne l’ai pas su avant un bon bout de temps ! »
Europe c. Québec
« Il y a moins de filles en BD en Europe. Le manga a beaucoup séduit les auteures. Au Québec, ce n’est pas un milieu de gars. Quand j’étais à l’université, c’était 50 % de filles, 50 % de gars. Il y a d’ailleurs bientôt une exposition de 25 auteurs québécois au Musée d’art populaire de Trois-Rivières, et on est 5 filles sur 25 ! »
La controverse à Angoulême
« Je ne sais pas comment le Festival d’Angoulême a fait pour ne pas avoir une seule femme sur sa liste. Quand j’étais là-bas en 2003, il n’y avait aucune femme. Les seules filles à qui je parlais, c’était les conjointes des auteurs qui se convertissaient souvent en coloristes pour aider leurs chum ! »



Julie Delporte

32 ans, auteure française installée au Québec depuis plus de 10 ans. Elle signe entre autres Le carnet bleu et Le dernier kilomètre.

Le monde de la BD
« On a l’impression qu’il y a moins de filles auteures, mais si on regarde les chiffres, on n’est pas loin de la parité, surtout dans la BD plus underground. Par contre, il n’y a aucune femme éditrice de BD francophone au Québec ! »
Europe c. Québec
« J’ai tendance à croire qu’il n’y a pas tant de différences que ça. Je pense que c’est un peu pareil dans plein de milieux artistiques : le salaire des femmes est inférieur à celui des hommes. Au quotidien, je ressens parfois cette non-parité, mais pas plus fort qu’ailleurs dans les autres sphères de ma vie. »
La controverse à Angoulême
« En ne choisissant aucune femme, ils ont voulu dire quelque chose. Peu de gens ont une grande estime du Festival qui est assez commercial et semble privilégier du monde au détriment des petits auteurs de qualité. »


Cab (Caroline Breault)

31 ans, auteure de L’hiver nucléaire, dont le 2e tome sortira en juillet.

Québec c. Europe
« Le marché est beaucoup plus petit au Québec, tout le monde se connaît par son prénom, et la représentation féminine est plus équilibrée. Comme tout est à échelle humaine, c’est plus facile de faire sa place. »
La controverse à Angoulême
« J’aurais aimé être étonnée de ce qui s’est passé à Angoulême… C’est certain que le milieu franco-belge reste une chasse gardée masculine. Par ailleurs, toutes les grandes institutions de la BD, en Europe et en Amérique du Nord, se font brasser ces temps-ci. »
BD de fille…
« La BD de fille, ça n’existe pas. Il faut que les créatrices continuent de faire les histoires qui leur plaisent. Mais il faudrait aussi qu’on arrête de faire tout un plat quand les héros sont des héroïnes, qu’on arrête de les définir par leur sexe. »

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