lundi 17 novembre 2014

« La couleur de l'air » d'Enki Bilal

Entretien avec Benjamin Locoge sur le site de Paris Match.


En clôturant sa trilogie écolo entamée en 2009, le dessinateur renoue avec les couleurs vives qu’il avait délaissées. Une lueur d’espoir dans une période sombre. 
 Ces dernières années, le noir l’avait ­envahi. Avec « Animal’z » puis « Julia & Roem », Enki Bilal avait résolument tourné le dos à ses dessins les plus lumineux. Pour raconter notre époque et se projeter dans un futur proche, Bilal a ­dépeint dans les deux premiers tomes une planète en plein effondrement, ayant perdu ses repères, laissant les hommes ­devant un néant écologique, dans un brouillard indissipable. Ses fans les plus ardus ont adoré. Le grand public s’est un peu détourné de cette histoire pas facile, dont une partie fut trop influencée par Shakespeare.
Mais, à 63 ans, Bilal est bien trop malin pour se laisser enfermer dans la figure du dessinateur maudit qui renie son glorieux passé. Non, « La couleur de l’air », dernier tome de la trilogie, lui permet de dénouer l’intrigue et aussi de réunir tous ses personnages étranges. Et quoi de mieux qu’un ­retour à la couleur, via des dessins flamboyants, éclatants – presque trop, comme pour mieux éblouir ses lecteurs ? Enki est ravi de son effet. « J’avais le ­dénouement en tête depuis le début. C’est vrai que les deux premiers livres étaient sombres. Mais là, j’ouvre une ­fenêtre d’espoir. La ­recomposition écologique se fait sans guerre, sans morts, sans trop de bouleversements. » 
Bien que dans cet avenir proche l’humain semble totalement exclu par la planète en pleine réorganisation… Prophétique ? Bilal ne se voit pas en oracle, « même si dans “Le sommeil du monstre”, paru en 1998, j’annonçais les ­attentats du 11 septembre 2001, et dans les années 1980, je parlais de la chute du Mur à venir ».


Une autre prédiction s’est elle aussi bel et bien réalisée : l’entrée de la BD sur le marché de l’art contemporain. En étant le premier auteur à dépasser les 150 000  euros pour une planche, Bilal est devenu la bête noire du milieu. Lui, balaie les critiques, excédé par « les jaloux et les aigris ». « Déjà, pour moi, la bande dessinée n’a plus de sens. Je ne travaille plus sur des planches ­depuis au moins dix ans, je dessine des cases sur des grands formats qu’ensuite je scanne pour finalement les ajuster à mon histoire. J’ai une plus grande liberté de dessin depuis que j’utilise ce système. Ceux qui pensent que je fais ça pour des raisons mercantiles sont idiots… » 
Alors oui, le dessinateur a laissé des plumes en vol, mais l’homme n’en a que faire. « Si je me suis coupé de ceux qui ne jurent que par la bande dessinée classique, de “Pilote” à “Tintin” en passant par “Spirou et Fantasio”, franchement ce n’est pas très grave. Moi j’ai progressé, avancé. Pas eux ! »

La couleur de l’air 
Enki Bilal
Casterman
96 pages
18 €

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