mercredi 25 avril 2012

Patrick Chappatte remporte le prix Thomas Nast

Du site Caricatures et caricature.

-Nous avons atteint nos objectifs!  -...exactement ce que disaient les soviétiques!
Le caricaturiste suisse romand Patrick Chappatte reçoit un prix américain, le Thomas Nast Award, pour ses dessins publiés l'an dernier dans le journal International Herald Tribune.
Patrick Chappatte recevra sa récompense mercredi soir à New York, écrit dans un communiqué le Overseas Press Club of America, qui décerne chaque année 27 prix dans des catégories allant du reportage international au commentaire online.

Ces distinctions sont considérées comme les plus prestigieux prix de journalisme après le Pulitzer Prize, souligne le communiqué.

C'est la première fois depuis sa création en 1968 que cette distinction revient à un non-Américain.
Le caricaturiste d'origine libanaise travaille pour les quotidiens genevois Le Temps et zurichois NZZ am Sonntag. Il publie ses dessins dans le International Herald Tribune depuis 2001.

Né en 1967, Patrick Chappatte vit à Genève.


MISE À JOUR

Une entrevue avec Rita Emch sur Swiss Info:

Depuis sa création en 1968, c’est la première fois que le Prix Thomas Nast ne revient pas à un Américain. Grand honneur donc pour Chappatte, dont les caricatures paraissent régulièrement dans l’édition internationale du «Herald Tribune», et rencontre à New York avec le dessinateur.

Avez-vous été surpris en apprenant que vous alliez recevoir cette récompense?

C’est une surprise, oui, mais avant tout un honneur. Cela a beaucoup réjoui l’équipe du International Herald Tribune aussi. Ils avaient déjà présenté mes travaux plusieurs fois, mais sans succès. Au point que cette fois, on avait pratiquement renoncé.

Ce qui fait que jusqu’à la dernière minute, je n’avais pas préparé de dossier. La surprise est donc d’autant plus grande de recevoir le prix en ayant presque raté le délai de remise des dessins!

Qu’est-ce que cela signifie pour vous de dessiner dans un journal qui touche un public global?

Cela fait presque 11 ans que je dessine pour le Herald Tribune, et je considère cela comme un privilège. J’ai cette chance d’observer et de commenter le monde et de mettre les petits et les grands événements en caricatures.

Et je peux ainsi exposer ma vision du monde dans un media à la fois global et américain.

C’est aussi un privilège de pouvoir commenter la politique américaine. Pour cela, je dois être très bien informé. Je le fais surtout par la radio, je passe plusieurs heures par jour à écouter la National Public Radio américaine.

Comment est-ce qu’un Suisse francophone se retrouve à dessiner pour une publication de langue anglaise?

J’ai toujours fait des caricatures politique, depuis mes débuts à l’âge de 20 ans pour le défunt quotidien genevois La Suisse. Et comme le pays est très petit, on se heurte vite à la frontière.

J’avais à peu près 25 ans et je ne pouvais pas m’imaginer faire la même chose jusqu’à la fin de mes jours. Alors que faire? Avec Anne-Frédérique Widmann, qui est devenue mon épouse par la suite, nous avons décidé de faire un break, nous sommes partis en Amérique du Sud, avant d’atterrir à New York.

J’ai toujours estimé les medias anglo-saxons, qui représentent une référence en matière de qualité. Et j’avais ce rêve américain de devenir caricaturiste au New York Times.

Que s’est-il passé ensuite?

Nous sommes arrivés à New York en 1995. Et j’ai trouvé une place au New York Times, mais comme illustrateur, pas comme caricaturiste politique. A côté de cela, j’ai travaillé quelques mois pour Newsweek International. Et à partir de 1997 pour la Weltwoche.

En 1998, nous sommes rentrés à Genève, avec notre premier enfant. J’ai travaillé d’abord pour L'Hebdo, puis pour Le Temps.

Et comment êtes-vous entré au «Herald Tribune»?

Sans l’expérience du New York Times, je n’y serais pas arrivé. Le Herald Tribune publiait déjà de mes caricatures, qu’ils recevaient d’une agence. Mais je voulais les convaincre de travailler directement avec moi au lieu d’acheter ces cartoons à bas prix à une agence.

Avec mon expérience américaine, j’ai eu le culot de harceler le chef de la page «opinion» jusqu’à ce qu’il me donne un rendez-vous. Il m’a expliqué encore une fois pourquoi il ne m’engagerait pas, et je lui ai exposé encore une fois mes arguments, jusqu’à ce qu’il dise «d’accord, faisons un essai».

C’est une chose que j’aime en Amérique, cet esprit pragmatique.

Y-a-t-il des sensibilités différentes, dont vous devez tenir compte suivant qu’une caricature est pour le «Herald Tribune», pour «Le Temps» ou pour la «NZZ am Sonntag»?

Il y a effectivement des différences selon les medias. S’agissant de ces trois journaux toutefois, elles sont minimes. La plus importante, c’est que le Herald Tribune s’adresse à un public global.

Autrement, il s’agit là de trois journaux de qualité, avec un lectorat plutôt cultivé. En fait, il y a plus de différence entre le Blick et la NZZ qu’entre la NZZ et le Herald Tribune. C’est pour ça, je pense, que je peux travailler pour trois medias dans trois langues différentes.

Quel est le plus grand défi quand il s’agit de créer des dessins – qui ont aussi besoin de texte – dans des langues différentes?

Je dois avant tout trouver un langage imagé, avec des références qui parlent à chaque public. Pour le Herald Tribune, cela demande peut-être parfois plus d’efforts, parce que je dois trouver des images qui sont compréhensibles dans le monde entier.

Je ne peux pas recourir à des références locales, et je dois moins compter sur les jeux de mots, qui par exemple sont très appréciés en français.

Peut-être que pour ce public global, il serait plus simple de n’utiliser que des images. Mais pour le genre d’humour que je pratique, pour mes commentaires, j’ai besoin de texte. J’utilise le comique de situation pour faire passer mes idées. Et pour cela, il faut du texte.

Le défi, c’est d’amener le dessin à un point où il sera potentiellement compréhensible pour tous, indépendamment des références culturelles, et ceci même si mon humour est naturellement européen ou américain.

Et bien sûr, on ne sait jamais exactement comment les gens du monde entier vont réagir à tel ou tel cartoon.

Y-a-t-il, dans vos dessins pour le «Herald Tribune», des choses auxquelles vous devez renoncer pour des raisons religieuses ou morales?

Je ne peux par exemple pas dessiner de femmes totalement ou partiellement nues. Mais ce n’est pas une grosse affaire. Il peut arriver que l’on voie un sein, dans un style néo-classique. Mais on va alors me demander de le couvrir.

Donc, votre travail pour les Américains est finalement assez proche de celui que vous livrez aux Suisses. Et entre Genève et Zurich, quelles sont les différences?

Il y a naturellement aussi des différences culturelles. Quand je joue sur Marianne (symbole de la République) et Marine Le Pen pour un dessin sur les élections en France, il n’est pas évident que cela soit aussi bien compris à Zurich.

Et parfois, il se passe des choses bizarres. J’avais fait pour Zurich un dessin avec un isoloir. Et on m’a dit «nous n’en avons pas ici».

Ce qui a été pour moi un petit choc culturel. Le plus drôle, c’est que l’isoloir est une référence que l’on comprend pratiquement partout dans le monde.

Il y a aussi eu cette caricature sur l’initiative des Alpes, où j’avais représenté les Alpes comme une femme avec une ceinture de chasteté et qui a suscité des lettres de colère des féministes zurichoises. Alors qu’en Romandie, je pense que ce dessin n’aurait pas fait de vagues.

Qu’est-ce qui vous excite dans votre travail?

En premier, je fais cela pour moi. C’est une chance incroyable de pouvoir ainsi digérer les peurs, les horreurs et les idioties de ce monde. Et en outre, c’est bien agréable d’arriver à faire sourire les gens, voire de les faire carrément rire.

Rita Emch, New York, swissinfo.ch
Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez

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